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TEXTE DE François de Coninck

Exposition CACLB

Dans le décor de métal brut du container placé à proximité des halles à charbon, un parpaing, des tuyaux de canalisation et des chasse-roues offrent à nos sens une occasion de s’affiner, pourvu que notre regard, notre mémoire et notre esprit – dans l’ordre de leur apparition impromptue sur la scène confuse de nos sens en (r)éveil – s’attardent sur la blancheur granuleuse et la brillance givrée de cette oeuvre en chantier érigée par Sophie Hasslauer à la frontière de l’art et du monde réel. Regarder ne suffit pas, comme toujours – encore faut-il voir : en l’occurrence, que ce sont des milliers de morceaux de sucre blanc, méticuleusement imbriqués et collés les uns aux autres, qui recomposent à l’identique ces vulgaires matériaux de construction, auxquels ils confèrent soudain une présence, une existence et une grâce dès lors que leur forme prend corps et âme dans l’espace de notre regard – alors que la fonction purement utilitaire de ces objets indistincts les vouent en principe à disparaître de son champ sous une épaisse couche d’enduit, de peinture ou de béton coulé dans l’ordre des choses. Justesse du propos, puisque l’intention de l’artiste rejoint l’effet de son intervention sur le regardeur, en ce point trouble où le regard peine à discerner la frontière entre l’art et le réel où il puise : en manipulant l’essence et la fonction de ce produit alimentaire de base, industriel et sériel, c’est bien notre regard que Sophie Hasslauer manipule. L’artiste se joue ironiquement de notre perception usuelle des formes et des objets : elle met à l’épreuve de sa mystification parfaite ces points de vue que l’on se forge (trop) rapidement au feu crépitant de notre rétine – nous qui continuons toujours plus ou moins à croire à ce que nous voyons, malgré les démentis cinglants que nous renvoie le réel, notamment lorsqu’il épouse la forme blanche d’une oeuvre d’art.

François de Coninck