Exposition “Long As I Can See The Light”
Adolescent, j’adorais fuguer, c’était mon passe-temps préféré. Abandonner le giron familial une nuit d’été pour revenir la semaine d’après entre deux gendarmes, quand j’y repense, quel pied ! Bien sûr à chaque fois je me prenais une bonne gueulante et mes vieux me privaient de tout ce dont un ado peut être privé. Bye-bye les virées ! Adios les concerts et les cinés. Fini les séries télé. Me voilà coincé à la maison jusqu’à la rentrée avec mes geôliers. De toute façon, rien à foutre, les prochaines vacances, je recommençais. Car moi ce qui me plaisait, ce n’était pas tellement de partir, mais surtout de rentrer. Pas tellement pour retrouver le confort de notre pavillon de banlieue, mais pour le redécouvrir avec le regard affûté d’un gamin encore raide de sa dernière virée. Le vrai voyage pouvait alors commencer. Je me posais dans le salon pour contempler les bibelots en plastoc élimé , la bibliothèque France Loisir, les tapis usés et leurs motifs chamarrés , sans oublier les tableaux Gifi à côté de la cheminée. Tous ces objets qui s’enlisent dans le décor et qui n’en sortent que quand nous nous prenons les pieds (ou l’oeil) dedans. J’avais enfin l’esprit disponible pour apprécier l’exotique banalité de mon foyer, fin prêt pour la grande aventure domestique. Bon, en même temps je n’avais pas grand chose d’autre à foutre…
Avec son exposition “Long As I Can See The Light”, Sophie Hasslauer nous propose peu ou proue la même expérience (sans la rouste). Son titre, emprunté à une chanson de l’album Cosmo´s Factory des Creedance Clearwater Revival, évoque le départ de soldats à peine pubères pour la guerre du Vietnam. Une bougie disposée sur le rebord de la fenêtre est sensée les ramener sains et saufs chez eux. Une sorte de fil d’Ariane dans la jungle , un repère dans les ténèbres pour éviter qu’ils ne se perdent, ou que leur âme, si ils venaient à canner, n’erre à tout jamais.
De là à comparer le boulot de Sophie au phare d’une peugeot sp 104 scintillant dans la nuit, il n’y a qu’un saut de lignes au quel j’ai du mal à me résoudre. Pourtant, je me demande sincèrement ce qui peut pousser une artiste à proposer des objets dans un monde qui en dégueule, à quoi bon encore proposer du sens dans un monde obèse de signes.
Qu’elle puise dans l’artisanat de luxe pour réaliser un skateboard en cristal ou un longboard en cuir ou bien qu’elle fasse graver des médaillons cheap à l’effigie des plus grands galeristes parisiens, elle fait bien plus que jouer la carte du contre emploi.
Plutôt qu’une réconciliation feinte des antagonistes à des fins d’ironie facile, elle tente de dresser la cartographie d’un environnement dont les objets ainsi traités révèlent le vacillement. J’en veux pour preuve ces curieuses pièces qu’elle nomme « absorption » : Cadre de miroir imposant cadre en bois massif dont le centre est recouvert de capitons en velours renvoyant au décorum petit bourgeois mais aussi à la cellule d’hôpital psychiatrique. A la fois sourd et aveugle au spectateur qui les contemple. Dans l’obscurité de notre écosystème culturel saturé, elle crée une poétique de l’errance et du détour, inquiète, certes, mais que nous pouvons nous permettre si nous gardons ce refrain en tête ; « Long as i can see the light, yeah, yeah, yeah, oh yeah ! » ça, ça me plaît !
La Troisième Narine
Chroniqueur Art Contemporain pour la revue Fluide Glacial depuis 2015.
Sophie Hasslauer vit et travaille à Val de Vesle (Marne). Présente dans la collection du FRAC Champagne Ardenne. Elle a notamment participé aux expositions suivantes : Sophie Hasslauer Centre d’Art Contemporain Passages, Troyes 2015/ Art At Work St Hubert Belgique (commissariat Julie Crenn) 2015 / Hybride, Douai, 2014 / Intra-muros/Extra-muros chapelle des Trinitaires METZ-Galerie Toutouchic METZ 2013/ Nuit Blanche Mayenne 2011 / et résidences Résidence CAC Passages Troyes 2015-2016 / Résidence Attigny 2016 / Résidence FRAC Champagne Ardenne 2014.